Nous quittons Ushuaia, sous un soleil timide après une nuit de pluies diluviennes.
Derniers regards sur cette lointaine Terre de Feu dont nous avions tant rêvé.
Depuis Baja Caracoles, le joint spi de l'amortisseur est mort. Mais il devait rester suffisamment d'huile pour qu'il continue à jouer plus ou moins son rôle. Au fur et à mesure, des 1200 Kms, goutte à goutte, il s'est complètement vidé et suite un choc plus violent que les autres sur les derniers 150 kms de ripio, il a complètement rendu l'âme.
Et rouler devient un enfer.
C'est un peu comme si la roue arrière était désaxée, ou ovale ! La moto rebondit à la moindre imperfection de la route; le mouvement d'ondulation est amplifié par le poids sur l'arrière. C'est parfois assez rigolo, car Laurent et moi sommes décalés dans le mouvement car il est assis sur l'amortisseur au centre de la moto, et moi...au dessus de la roue arrière dans le vide, on rebondit chacun notre tour !
Quand le vent latéral s'en mêle ça devient beaucoup moins drôle surtout en croisant les camions.
Quand on vous dit qu'il a du vent en Patagonie !
A Bahia Azul, le ferry pour traverser le détroit de Magellan, est prêt à partir, il referme les portes derrière nous.
Et oh surprise, nous retrouvons Grant, qui doit rejoindre Angela qui prend le bus, car incapable de conduire sa moto, et... nos savoyards préférés qui ont dû flâner un peu en route !
A la descente du ferry, l'asphalte de la Ruta 3 nous attend pour nous conduire à Buenos Aires...dans 3000 kms
Dure réalité pour les voyageurs au long cours... Non je plaisante !
Photo prise à "l'insu de mon plein gré" ! je cherche une bouteille en plastique à découper pour faire un entonnoir et vider le bidon d'essence.
Le Chili et l'Argentine se partage la Terre de Feu, il faut donc sortir d'Argentine, entrer au Chili, en ressortir pour de nouveau entrer en Argentine...
Et à chaque fois refaire les papiers d'importation temporaire de la moto. Je ne vous dis pas le nombre de coups de tampon !
Pendant les formalités, j'observe, amusée, le manège d'un couple de renards, peu farouches, habitués au bruit et à l'agitation de la douane.
Après avoir passé la soirée à Rio Gallegos, en compagnie de Fabrice et Philippe autour d'une parilla 'à volonté" et dormi à l'hôtel de Paris !
Nous reprenons la ruta 3.
Etape de liaison de 370 kms sur une moto qui fait le yoyo, malmenée par les vents malins et farceurs.
Rien pour les arrêter.
Plissement de terrain, et larges courbes pour rompre la monotonie.
Herbes folles de la pampa.
Puerto San Julian, le temps d'une photo devant la réplique de l'un des bateaux de Magellan.
A 9h, les bourrasques sont déjà fortes, le ciel est chargé et les nuages avancent comme dans un film en accéléré. Le propriètaire de l'hôtel nous raconte des histoires terrifiantes de collectivos renversés par des vents de 140km/h et plus.
Laurent dit qu'il en rajoute pour nous garder une nuit de plus...
"Gracias amigo, j'avais pas besoin de ça pour flipper !"
Effectivement on en bave...
Je me dis que ça ne va pas être possible de continuer le voyage sans amortisseur. La moto est limite conduisible, on roule à 80 km/h sur l'angle. A chaque séance de yoyo, Laurent coupe les gaz et je mets tout mon poids sur les reposes pieds pour atténuer le mouvement d'ondulation. Epuisant !
BMW dit qu'il n'est pas possible de le réparer.
En Argentine, les lois très protectionnistes sur l'importation, et les lourdes taxes, font qu'il n'y a quasi pas de pièces détachées, ni de moto de cylindrées supérieures à 250 cc, car trop chères à l'achat pour la plupart des argentins.
La concession BMW la plus proche est à Buenos Aires, et nous annonce un prix prohibitif de 3 600 US$ ! Le double du prix en France. Gasp !!!
Celà risque de compromettre la fin du voyage. Hors de question de payer ce prix, et hors de question d'aller à Rio avec la moto dans cet état...
On oublie pour un moment cette dure réalité, en s'asseyant sur la plage de Caleta Olivia où les seuls baigneurs sont ces énormes lions de mer.
Ils se prélassent au soleil comme de gros loukum paresseux ; Ils toussent, éternuent, baillent ou se chamaillent pour occuper la place d'un autre.
Un vrai spectacle. Mais dès qu'ils sont dans l'eau, leur élément, ils se transforment en joyeuses torpilles agiles et véloces. Fascinant.
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Nous longeons la côte du Golfe San Jorge.
Et quand la nuit tombe sur la baie et cette loooongue journée de 450 kms, on a juste le temps de compter jusqu'à trois avant de sombrer.
De Comodoro Rivadavia à Puerto Madryn, 400 kms de yoyo... Et cette fois c'est le phare avant qui nous lache.
Et ça c'est une sacrée chance ! On s'arrête dans ce magasin de moto à l'entrée de la ville.
Martin, le propriètaire, n'a pas la bonne ampoule, mais il nous accompagne dans une autre boutique. Il doit nous trouver sympa, car il nous propose de venir à un asado (barbecue) le soir même, organisé chez des amis motards.
En attendant, après avoir planté la tente, on se balade sur les rochers, où les premiers colons gallois ont accosté début 19ème siècle...
Les chiens errants en Argentine, c'est tout l'un, ou tout l'autre. Soit ils vous coursent en moto comme des démons, soit ils vous adoptent et vous adorent. Celui-ci, ne nous lâche plus, se promène avec nous, et obéis au doigt et à l'oeil.
Il dors même devant la tente. Il finira sous l'auvent en pleine nuit, car tempête et pluie s'étaient liguées pour nous empêcher de dormir.
Laurent va seul à l'asado, car je suis vraiment trop crevée.
A 3h du matin, en pleine tempête il me raconte la soirée, Il parait que c'est le coca-cola mélangé au Fernet Branca qui l'empêche de dormir ! Mon oeil !
Au matin, avant de reprendre la route, nous passons au magasin pour dire au revoir. On discute de l' amortisseur, irréparable... blablabla.
Martin nous dit que son ami Dany, est un magicien de la mécanique, capable de tout réparer...mais que ce sera une première pour lui.
Qu'est ce qu'on risque ! de toute façon il est mort.
Sur l'air de Mission Impossible : Tintin tintin tin tin tintin tin tin... Toudoudou toudoudou Toudoudou....! " Dany, votre mission, si vous l'acceptez, réparer l'amortisseur réputé irréparable, vous avez jusqu'à demain matin ! Si vous ou l'un des vôtres était pris...de doute, qu'il se taise !
La moto part à 15 h pour son opération à amortisseur ouvert.
Dany, d'un calme olympien, entre cigarettes et gorgées de maté, tente l'opération de la dernière chance.
Mais, impossible de désarmer le tube, collé à la loctite. "Impossible" n'est pas Dany...
Il est tard, demain il emmènera l'amortisseur chez un pote qui a une presse...Et c'est comme ça qu'on va passer deux jours dans une famille formidable.
Lito, Zulma, leurs fils, Roque l'ainé et Facu, 19 ans qui bosse en mécanique avec Dany.
Immédiatement, ils nous proposent de quitter le camping pour nous installer dans leur caravane...j'adore l'idée !
Et eux, ils adorent les motards.
Nous ne sommes d'ailleurs pas les premiers à être accueillis chez eux.
Ambiance de fête. Je prépare une ratatouille que Zulma, Suzanna et sa maman, Monica goutent.
pendant que Lito prépare le feu dans le garage pour la parilla.
Tout le monde est là, Lito, Cholo, Martin et son amie, Suzanna et son fiancé Roque, Facu, Lolo.
Monica rêve d' essayer la fusée verte, et Cholo l'emmène faire un tour... ses genoux en tremblent encore !
Facu est fan de "El Doctor". Il a bon goût ce p'tit !
Le Fernet Branca/coca cola, boisson adorée des argentins, fait briller les yeux du père et du fils,
et Laurent trinque !
Le voyage, la moto... les motos, le football, les malouines, la vie, les récits d'aventures des uns et des autres, nous emmènent tard dans la nuit.
11 h du mat , Dany ramène la moto...Verdict....Opération réussie !
Amortisseur désarmé à la presse,
polissage du tube pour effacer les rayures,
pose d'un joint plus serré,
remontage des pièces.
Ca marche ! Et cerise sur le gâteau, ressort repeint en rouge, car rayé... la Dany's touch.
Pour la modique somme de 800 pesos, soit 135 euros !
Dans un pays où toutes les pièces importées coûtent la peau des fe....s, car très lourdement taxées, on répare, on ne remplace pas !
Pour le fun, et avec des boules Quies, un petit tour en 400 YZ.
Et à la nuit tombée on remet ça, un samedi soir sur la terre argentine en Patagonie !
Cholo prépare son "pollo disco".
Il découpe les poulets en morceaux, nous, les légumes, carottes, poivrons, ail, oignons,
le tout jeté dans l'huile bouillante du "disco". à mi cuisson, on rajoute les herbes aromatiques, du jus de tomate et les petits pois.
Et pendant que ça mijote, on papote et on sirote...
Et ce n'est pas toujours beau à voir !
"Dany, t'es mon pote hein" ?
A 3h30 du matin, tout le monde part en boite de nuit... Ben nous comme on est un peu vieux, on va se coucher ! Il y a de la route demain .
On a passé deux jours extraordinaires avec des gens fantastiques qui nous ont ouvert leur maison et leur coeur comme si on faisait partie de la famille.
Zulma me glisse dans l'oreille en partant, qu'on a dorénavant une maison en Argentine...
Merci Martin, Dany et Facu pour qui, la solidarité motarde n'est pas une simple vue de l'esprit.
Nous zappons la Péninsule Valdes, car ce n'est pas la bonne époque pour voir les baleines, et les récentes pluies on rendu les pistes plus que boueuses...
C'est ce que nous confirment Michel et Bernadette, croisés à la station service, qui ont failli renverser "la Cagouille" après s'être embourbés. Ils remontent vers Mendoza et ne comptent rentrer en France qu'en décembre prochain...Oh les veinards.
Le sanctuaire de Gauchito Gil sur la Ruta 3 est impressionnant de ferveur populaire.
Et soudain, 4 motards se garent à côté de nous.
Marc, australien, depuis 3 ans sur la route en 1150GS rencontré pour la 1ère fois au Nicaragua avec sa femme Maggie (rentrée, depuis en Australie), Kevin, irlandais vivant en Australie, Adrian, qui a quitté le groupe de Glenn, Nick et Ivanka à Ushuaia et André, un suisse allemand en 750 Africa twin.
Cinq garçons dans le vent... "comment ça ils n'étaient que quatre ? " Oui ben là ils sont cinq qui marchent dans la même direction,
et qui aiment la bonne chair,
Il n'en faut pas plus pour faire la route ensemble jusqu'à Buenos Aires.
La pampa a laissé place à de grandes plaines agricoles, le vent est tombé, l'amortisseur fait des merveilles.
Nous quittons la Patagonie en traversant le fleuve Rio Negro ;
Il est un endroit incontournable pour tout motard voyageur en route pour Ushuaia,
"La Posta del Viajero en Moto", à Azul.
Depuis 22 ans, Jorge, passionné de motos, vit son rêve par procuration. Un super article paru en 2009 dans Moto Journal, dresse un son portrait.
Il a ouvert sa porte aux motards voyageurs. On peut y planter la tente,
rencontrer d'autres voyageurs,
laisser une trace de son passage,
Il y en a même un qui y a laissé sa moto, il y a 2 ans...en attendant de revenir finir son voyage...un jour !
On lit, rêveur, les dédicaces de ceux qui nous ont précédé sur la route.
Un peu émue, je trouve la signature de nos copains les Jesse's, à côté d'un couple de grands voyageurs, 6 ans en Harley autour du monde !
Tradition oblige, Jorge prépare un asado.
avant de dédicacer mon tee-shirt Transam2011.
Photo de "famille" c'est notre dernière journée de route avant Buenos Aires.
Jorge, merci pour ton accueil chaleureux, chez toi aussi on aurait bien aimé rester plus longtemps.
Séance de lavage pour les quatres copains qui ne renverront pas leurs motos en Autralie et en Suisse.
Ils ont décidé de la revendre sur place. Car l'Australie impose un nettoyage minutieux de tout véhicule, qui confine à la maniaquerie. Pas un gramme de poussière, de terre ou autre ne doit pénétrer sur le territoire, car le pays est exempt de certaines maladies, touchant le bétail notamment; Celà va jusqu'à la vérification des filtres à air !!!
Et puis ils peuvent faire une bonne affaire, car les lois sur l'importation taxent très lourdement les véhicules et au final ils coûtent deux fois plus chers que chez nous. Par exemple, une 1200GS coûte environ 35 000 US$ !!! Et il est interdit d'importer un véhicule d'occasion. Pas cool !
Certains garages sont friands de ce genre d'aubaine, car ils peuvent ainsi revendre les motos en pièces détachées.
Nous atteignons Buenos Aires en début d'après midi, et nous nous quittons en nous souhaitant mutuellement un "Ride safe".